Universalité contemporaine et avenir : l’art contemporain d’Afriques de Victoria Mann

AKAA, Also Known As Africa, est la première foire d’art contemporain d’Afrique en France. Nous avons rencontré sa fondatrice, et directrice des événements, Victoria Mann, qui nous a livré sa vision de l’art contemporain africain de demain : une création ouverte au monde, centrée sur les artistes et leur démarches créatives. Assurément la vision d’une création riche, aux influences libres, tournée vers l’humanité, l’Afrique au centre de la carte.

A l’heure où nous nous demandons comment envisager l’héritage culturel de demain, son approche contemporaine, ouvre les voies vers une culture universelle, et nous interpelle.

 

AKAA, est une initiative rafraîchissante. Pour la définir, vous préférez le terme de foire d’art contemporain d’Afriques, au pluriel. Pouvez-vous nous en dire plus?

 

Aujourd’hui, nous sommes dans une démarche complètement contemporaine et novatrice. Je travaille avec des artistes de toutes parts, qui revendique un lien avec ce continent. Il a été très important pour nous de ne pas créer un énième événement qui enferme des artistes dans une boite délimitée par les contours d’un continent, délimitée par des frontières, et de les mettre en avant par rapport à leur origine, au lieu de les mettre en avant par rapport à leur pratique artistique.

 

L’idée d’AKAA, c’est un petit peu un paradoxe car c’est une foire d’art contemporain d’Afriques, où on souhaite enlever la notion de géographie de l’équation et parler plutôt de lien, de revendication identitaire et d’influence de ces artistes. Tout cela se traduit par le fait que les artistes présents à la foire sont là parce qu’ils ont, dans leur pratique artistique, un lien revendiqué sur ce continent, quelque soit ce lien.

Alors évidemment le lien d’identité, d’origine, de culture, le lien de mémoire est un lien très fort que l’on retrouve pour beaucoup d’artistes, d’où la présence très nombreuse d’artistes contemporains du continent, mais pas que.

Nous ouvrons la porte aussi à tout artiste de diasporas anciennes ou récentes.

Alors, je parle de récente en ce qui concerne les artistes originaires du continent, qui aujourd’hui vivent et travaillent à travers le monde et qui garde le lien à leur continent. Et ancienne, je parle de tout artiste qui font partie de culture à héritage diasporique, et qui travaillent sur ces notions d’héritage, de mémoire, d’ancêtres. Nous pensons aux artistes afro-américains, afro-brésiliens, afro-cubains, …

AKAA - Also Known As Africa - Foire Art Contemporain
AKAA, Exposition A Rebrousse Temps, Paris 21-23 octobre 2022 | Lyon 6 avril – 24 mai 2022

Et puis, nous ouvrons aussi la porte à tout artiste de la planète qui d’une manière ou d’une autre a établi un lien avec le continent dans leur pratique et souhaite le mettre en avant. Par exemple, un artiste israélien qui a collaboré avec un artiste du Zimbabwe et le fruit de cette collaboration va être montré à la foire. Ou un artiste coréen qui a fait une résidence en Afrique du Sud et le fruit de cette résidence est montré à AKAA. Aussi, un artiste italien qui a passé 5 ans à voyager au Congo et le fruit de son travail à l’issue de ces 5 années de voyage est montré à la foire, …

 

Ce qui nous intéresse, et vraiment le propos, est cette notion de lien, de connexion, de dialogue et de confrontation avec le continent africain.

 

Finalement, ce que tout cela nous permet de faire, c’est de proposer une nouvelle lecture, un nouvel angle de lecture de la carte d’art contemporain d’Afrique, où au lieu d’avoir l’Europe et les Etats-Unis au centre d’une carte comme on a plus l’habitude de le voir, nous mettons le continent africain au centre. De ce centre, nous pouvons voir tous les dialogues, toutes les confrontations, tous les liens, toutes les connexions qui peuvent se faire avec le reste du monde.

C’est l’idée de mettre l’Afrique au cœur du sujet et ensuite de voir comment ce sujet peut s’épanouir et se développer à travers la pratique des artistes.

D’où l’Afriques, au pluriel, cela veut dire que chaque artiste a sa propre Afrique, donc il en existe une multitude.

 

Bien qu’AKAA s’expose en France, quel est votre opinion sur l’importance de l’exposition de ces œuvres sur le continent africain?

 

Evidemment qu’elle est importante.

AKAA est l’un des piliers, l’un des membres d’un écosystème, qui de par sa structure artistique permet une visibilité très importante de ses artistes à l’international.

Et pourquoi est-ce qu’aujourd’hui l’art contemporain d’Afrique prend une importance et une dimension aussi notoire? Pourquoi aujourd’hui et pas il y a dix, vingt ans? Justement, je pense que c’est parce que cet écosystème, cette infrastructure artistique se développe en parallèle sur le continent et à l’international.

Parce que si ce ne sont que les autres qui s’intéressent aux artistes d’un certain endroit du monde, au bout d’un certain temps ces autres s’intéressent à autre chose. Ce qui fait qu’il y a une dynamique et un développement pérenne, de plus en plus important chaque année, montre effectivement qu’il y a un nombre de choses qui se passe à l’international, mais aussi de manière locale. Et ça c’est crucial. C’est essentiel.

 

 

En ce qui concerne le sujet de la restitution d’œuvres à Afrique, pensez-vous qu’il s’agisse d’une réponse aux problématiques de préservation et de valorisation, ou revêt-il un habit purement symbolique?

 

Je pense un petit peu des deux. Elle est importante parce que nous parlons de patrimoine, d’héritage, d’histoire, en ce sens je pense qu’elle est nécessaire.

J’ai beaucoup entendu les pours, les contres, les discours et les problématiques qui entourent ce dossier des restitutions.

Je vais un peu m’éloigner de tous ces sujets pour repartir dans la notion de contemporain, d’aujourd’hui et de demain. Il y a une chose qui est essentielle, et c’est la formation et l’épanouissement des acteurs culturels de demain sur le continent africain, et ne serait-ce que pour ça, ces restitutions sont essentielles.

 

A tout ceux qui avancent l’Afrique n’a pas de musées pour s’occuper de ces œuvres, là on est sur un syndrome du chien qui se mord la queue. C’est à dire que oui, très bien, peut être, il n’y a pas de musées en Afrique pour les accueillir, mais s’ils ne reviennent jamais, on ne les développera jamais ces structures.

Et je pense qu’aujourd’hui, il faut faire confiance aux nouvelles générations pour se préoccuper de ce patrimoine. Ce patrimoine restitué à un continent ne veut pas dire coupure de dialogue avec le pays d’où il vient, mais au contraire, épanouissement, développement d’opportunités de travail entre les grandes institutions et les acteurs culturels qui gèrent ces institutions en Europe, aux Etats-Unis, et où se trouvent tout ce patrimoine, et les commissaires, conservateurs, critiques, historiens de l’art de demain du continent. Ce sont des branches de métiers qui ont besoin de se développer et pour se développer et exister il faut qu’il y ait un contenu sur place.

 

Pour moi, tout cela n’est que bénéfique, parce que la restitution d’un certain patrimoine vers un pays ne va faire qu’inciter à, premièrement s’en occuper, le mettre en valeur, le conserver, et deuxièmement, à aller s’occuper, conserver, et mettre en valeur le reste du patrimoine qui est encore sur place. Troisièmement, cela va faire rentrer dans la vie, le quotidien et les habitudes des gens, le culturel. C’est important d’avoir un lieu, où que l’on soit, qui garde notre histoire et notre identité culturelle à travers les objets. En réalité, c’est tout ce qui compte.

 

Les présidents, les gouvernements changent et évoluent. L’être humain n’est pas éternel, mais qu’est ce qui est transmis de générations en générations, et qu’est ce qui porte l’histoire de tout un peuple, de toute une culture? C’est bien l’objet.

Select your currency
EUR Euro