Savoir-faire et artisanat : Les chemins de la transmission

Secrets de métiers à tisser, découverte des profondeurs de la xylogravure, ou maîtrise des mystère de l’art de la broderie, tant de savoir-faire nobles dont la préciosité pose aujourd’hui la question de la valorisation, mais aussi de la transmission.

Toutefois, perpétuer ces techniques séculaires du patrimoine africain s’accompagne de son lot de défis.

ORALITÉ & TRADITION

Impossible de parler d’éducation et de transmission sur le continent noir sans évoquer la tradition orale. Moment particulier de connexion et d’échange inter-générationnel, la transmission des savoirs artisanaux en Afrique s’inscrit au cœur de rituels longs et particuliers. De par la démonstration, l’observation et l’imitation de son geste, l’artisan présente la mémoire et la valeur de son héritage, créant ainsi le patrimoine de demain.

De ce fait, l’importance de la sagesse des anciens n’est plus à prouver. Néanmoins, avec la tradition orale, se pose rapidement la question de ses limites. Bien qu’elle ne soit indissociable de l’histoire africaine et essentielle à l’apprentissage des métiers d’arts, l’oralité se heurte aux réalités de la mondialisation et de la condition humaine.


Tissage d’accessoires en raphia © Pok Pok Madagascar

Or, où l’oralité permet d’intégrer des gestes répétitifs et techniques basiques, elle ne permet pas toujours l’épanouissement de l’esprit créatif des artisans. Quand il est question d’aller au-delà de la logique fonctionnelle de l’artisanat, l’imitation ne suffit plus. Où la tradition orale suppose la présence d’un instructeur plus expérimenté, l’introduction de l’écrit impose l’autonomie d’un apprentissage libre, d’une création plus abstraite et conceptuelle, l’exploitation du sens artistique, premier pas vers la recherche de l’innovation, vers un décloisonnement de l’esprit critique. Ce sont ces éléments qui garantissent la pérennité d’un héritage.

D’autre part, la transmission du savoir-faire se faisait au sein des familles et de communautés d’initiés, ce qui en limitait parfois l’accès à un cercle restreint.

Pour exemple, la guilde des Enaden, ou Inaden, chez les Touareg. En effet, naître Enaden destinait les hommes aux métiers de l’artisanat comme forgeron ou sculpteurs. Maîtres dans la réalisation d’éléments d’apparat hautement symboliques, ils étaient très importants au maintien de l’ordre hiérarchique des sociétés Touareg, bien que marginalisés, de par leur profession. Dans tout le pays Touareg, on ne devenait pas forgerons, cordonniers, potiers, bijoutiers ou encore menuisiers, on naissait artisans.

Artisan Touareg du Niger © Mohamed Ahnou

 

EN ROUTE VERS LA PROFESSIONNALISATION DU SAVOIR-FAIRE

L’habileté manuelle nécessaire aux métiers de l’artisanat, la maîtrise des techniques et de la culture qui s’y rapporte requiert des années d’apprentissage.

Aujourd’hui, de nombreuses institutions, généralistes ou spécialisées, proposent des formations professionnalisantes à travers l’Afrique. Universités, écoles et instituts dispensent des formations de Bac +2 à Bac +5 permettant d’acquérir les gestes de base, de gagner en technicité, mais aussi de façonner et d’encourager les démarches créatives et l’innovation. Grâce à des CAP, BMA (brevets des métiers d’art) et autres parcours diplômants, les étudiants alternent entre formations uniformisées et celles exclusivement sur le terrain, indispensables à certaines spécialités, souvent par le biais de 2 à 3 ans d’apprentissage en ateliers.

Ainsi, le temps a vu s’installer les écoles spécialisée comme Furntech, à Georgetown, l’unique école sud-africaine pour le design des meubles, l’Académie des Beaux Art de Kinshasa, en RDC, ou l’Ecole National des Art de Dakar, au Sénégal, formant aux Arts plastiques (peinture, sculpture, céramique, dinanderie, restauration et conservation des oeuvres d’art, …), et aux Arts graphiques (architecture d’intérieure, communication visuelle, photographie et design).

Académie des Beaux Arts de Kinshasa, République Démocratique du Congo

Par ailleurs, en écho aux traditions de transmission connues, les showrooms et ateliers de créateurs offrent des programmes d’apprentissages riches et diverses. Les designers, eux même formés sur le tas ou arborant des diplômes, prennent sous leurs ailes de jeunes apprentis n’ayant pas trouvé leur voie dans le système d’éducation général, ou des passionnés, diplômés assoiffés de découverte, de collaborations, et de perfectionnement.

Dans cette optique, en 2016, naissait le Club des Métiers d’Art et d’Artisanat de Baguida, une commune dans la périphérie de Lomé, au Togo. Fondée par Mablé Agbodan, designer et artisan d’intérieur spécialisée dans l’artisanat de luxe, cet atelier unique est destiné à accueillir une trentaine d’artisans diplômés et triés sur le volet, en quête de renouvellement, d’innovation haut de gamme, de création éco-responsable, de sensibilisation à des perceptions nouvelles, et de participation à la préservation de techniques traditionnelles oubliées.

Club des métiers (2016) créé par Mablé Agbodan

Par ailleurs, des centres, associations et fondations s’engagent pour la conservation du patrimoine africain en formant des hommes et des femmes aux dessous de la maroquinerie, du macramé, du perlage, du tissage, de la teinture, des arts du mobilier, de la céramique et bien d’autres. A l’image de la Fondation Jean Félicien Gacha au Cameroun, du Centre d’ébénisterie et de menuiserie Georges Ghandour d’Abidjan, en Côte d’Ivoire ou de la Fondation Olorun de Ouagadougou, au Burkina Faso.

Enfin, il est nécessaire de souligner le développement du compagnonnage international. Il s’agit du temps pendant lequel un artisan sorti d’apprentissage jouit de l’accompagnement et des conseils d’un maître d’art afin d’en devenir un lui-même. Des échanges entre la France et des pays d’Afrique francophone comme le Gabon, le Mali, le Burkina Faso, le Sénégal, Madagascar, le Congo ou encore le Cameroun ont été instaurés, depuis 2008, dans un souci d’ouverture au monde, de renforcement de compétences et d’amélioration des produits existants.

UNE VOIE  SEMÉE D’EMBÛCHES

Bien qu’il soit établi avec certitude que la transmission des savoir-faire africains est un enjeu majeur pour la préservation du patrimoine culturel, ainsi que pour l’essor économique de certains pays, les métiers de l’artisanat souffrent d’une image peu attractive aux yeux d’une jeunesse africaine pour laquelle succès ne rime pas avec travaux manuels.

Ce manque d’engouement, les difficultés de rentabilité, d’expansion et d’autonomie des artisans africains viennent entraver les processus de transmission à travers le continent.

In fine, malgré la structuration professionnelle et le décloisonnement progressif du secteur, la transmission des savoir-faire doit relever de nombreux défis afin d’éviter la disparition de techniques et de connaissances rares.

Tabouret de la marque Haute Baso, Rwanda © Illume Studio

 

 

 

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