La célébration à l’ère du digital et de l’image

Difficile ait-il été pour nous de ne pas nous saisir de cette opportunité pour nous pencher sur les différentes mutations de la célébration du patrimoine du continent à travers les âges. Au-delà d’une célébration personnelle et quotidienne de l’Afrique, à l’heure où les manifestations culturelles populaires aux formats classiques ne semblent plus autant enthousiasmer, l’ère du digital et l’éclosion des initiatives privées d’exposition de la création africaine ont redéfini les contours de la valorisation de cet héritage culturel. Les plateformes se multiplient. Vision contemporaine, dynamisme, universalité et subtilité définissent ses acteurs.

Alyssa Barry, fondatrice Afreakart

Pour la jeune architecte-urbaniste, aux manettes d’Afreakart, Alyssa Barry, les initiatives entrepreneuriales en ligne ont permis une nouvelle dimension de décloisonnement : “ Je pense que ce genre d’initiative est importante parce que l’art contemporain africain est encore méconnu, surtout de la part des principaux concernés, c’est à dire des africains. Je trouvais important de le rendre un plus accessible, ou en tout cas de le faire connaître à un plus large public. Étant donné que l’art fait peur, je pense que la plupart des gens se disent que c’est destiné à une certaine élite. En utilisant les réseaux sociaux, le digital, je me dis que ce serait la meilleure façon de le rendre accessible et surtout de le démocratiser, (…) de faire comprendre que l’on a pas besoin d’avoir fait des études en art ou de venir d’un certain milieu pour se laisser toucher ou d’apprendre de l’art contemporain africain.

 

Le principal avantage que nous avons aujourd’hui avec les outils digitaux, c’est vraiment une opportunité pour nous africains de se réapproprier notre histoire, et surtout de se réapproprier notre storytelling. Voilà, je pense que c’est vraiment là le principal avantage du digital s’il est bien utilisé évidemment. On a tellement raconté à notre place,  le digital nous permet de nous parler entre nous et de parler de nous.”

Masque Dan et oeuvre "FAMILLE DAN 2 (2020)" de Peintre Obou
© Alyssa K. Barry, Masque Dan et oeuvre "FAMILLE DAN 2 (2020)" de Peintre Obou

Quant à Emmanuelle Courrèges, c’est l’image qu’elle a choisie pour raconter et célébrer autrement l’Afrique. Son ouvrage “Swiging Africa, le Continent Mode”, paraissait en Novembre 2021 aux Editions Flammarion : “Le livre, c’est un moyen très moderne d’aller toucher le cœur des gens, grâce notamment au talent des photographes dont le travail est exposé.

La photo, c’est une secousse, elle vient vous chercher, elle vous emmène, elle vous convainc immédiatement (ou pas). J’ai eu beaucoup de retours de personnes me disant « j’ai pris une claque, je ne savais pas que les photographes africains, que les créateurs étaient aussi talentueux, que c’était aussi puissant ».

Le site et tous les projets satellites étaient et sont eux aussi des moyens d’aller chercher les gens, de les convaincre, ajoute-t-elle en parlant notamment de LAGO54, la plateforme de soutien aux créateurs de mode qu’elle a fondé en 2017. Nelly Wandji (fondatrice de MoonLook) et moi sommes arrivées les premières sur cette scène de la mode africaine en France – et même en Europe. Si aujourd’hui, les médias, les décideurs s’intéressent enfin à la mode africaine, c’est parce que nous avons créé les conditions de ce regard. Il supposait un travail de médiatisation particulier. Les salons que j’ai organisé, les showrooms pendant les fashion-weeks, les centaines de dossiers de presse envoyés pour sensibiliser au travail de tel créateur ou à tel savoir-faire, et ce, en lien avec l’air du temps, les tendances internationales, les projets spéciaux comme celui avec 8 by Yoox cette saison (intitulé Tales of Africa, en ligne sur le site de YOOX le 09 mai dernier) participent tous à « décadenasser » le regard occidental sur la création made in Africa.”

 

Dans la modernisation de cette célébration, la journaliste insiste sur le fait que les initiatives entrepreneuriales sont essentielles: “Et d’autant plus essentielles quand elles sont, comme aujourd’hui, portées par des jeunes entrepreneur(e)s qui renouvellent la lecture de ce patrimoine.

Il passe désormais par le prisme et le regard de la jeunesse, celui de créatifs qui, par l‘utilisation d’outils hyper-modernes, souvent aussi dans un esprit collaboratif dans l’air du temps, donnent une autre image de ces héritages culturels – et les propulsent du même coup  dans le futur.

Emmanuelle Courrèges, Fondatrice de LAGO54, journaliste et auteure de “Swinging Africa, Le Continent Mode” aux Éditions Flammarion
Emmanuelle Courrèges, Fondatrice de LAGO54, journaliste et auteure de “Swinging Africa, Le Continent Mode” aux Éditions Flammarion

L’IMPÉRATIF DU PARTAGE D’UNE CRÉATION CONTEMPORAINE OUVERTE AU MONDE

 

Nombreux sont les combats menés pour l’éclosion de la création et d’une célébration gardienne respectueuse d’un patrimoine précieux. A l’importance d’une exposition sur le continent, vient se heurter la nécessité d’exportation de la création. Nécessité économique pour des artistes et artisans qui souhaitent vivre de leur art.

 

Comme nous le rappelle bien Alyssa Barry, “Je pense qu’il ne faut pas se fermer en disant qu’il ne faudrait qu’il ne soit accessible qu’en Afrique, qu’aux africains. Je pense que c’est quelque chose à  faire en parallèle, à la fois faire en sorte qu’il soit accessible aux africains, mais s’ouvrir au monde. C’est comme ça que le monde fonctionne tout simplement, on n’est pas tout seuls. Il faut le faire en deux mouvements parallèles, à mon avis.

 

Emmanuelle Courrèges salue le changement, enthousiaste face aux conséquences d’une exposition sur le continent, de plus en plus importante : “Longtemps, les grands évènements culturels qualitatifs sur et avec l’Afrique, ceux dont on parle, ceux qui marquent les esprits, ont été faits en Europe.

 

Grâce notamment à de jeunes entrepreneurs, à quelques « repats » également, de plus en plus d’événements prestigieux et aspirationnels ont lieu sur le continent. Il y a un moment de bascule qui est formidable. Car rappelons-le, l’avenir de cette création africaine, quelle qu’elle soit, est certes de voyager et de séduire le plus grand nombre, mais d’abord de s’enraciner durablement dans les pratiques de consommation locale. C’est assez excitant de voir les changements qui ont eu lieu en 5 ans.

 

Par ailleurs, ce partage de patrimoine soulève aussi d’autres débats. Appropriation culturelle, diffusion sans crédit ni hommage, restitution des œuvres du patrimoine africains au continent. La course vers un héritage universel est bel et bien lancée. Si elle s’érige en tremplin d’une réappropriation à l’écoute de l’humanité, elle doit se faire dans le respect des valeurs et de la mémoire des cultures africaines en cause. Un équilibre se doit d’être rétabli.

 

L’Afrique, c’est aussi le monde, ça appartient aussi au monde donc ça devrait aussi être universel. Les artistes parlent aussi bien de choses spécifiquement africaines, que de choses au final qui peuvent parler à tout le monde. Mais il faut faire attention à ce que la tendance actuelle qui est que l’art soit plus retenue à l’international bascule. Il faut rétablir l’équilibre, assure Alyssa Barry. A l’heure d’aujourd’hui, je trouve que la situation n’est pas équilibrée, que l’art fait plus parler de lui à l’extérieur du continent qu’à l’intérieur, même s’il y a de plus en plus d’initiatives.

 

Le départ est donné. Les acteurs de la culture œuvrent pour une réappropriation du patrimoine culturel africain par ses peuples, du continent et de ses diasporas. Cependant, de nombreux facteurs entrent en jeu. Si tous les africains et afro-descendants ont un rôle à jouer, pour Alyssa Barry, la jeunesse et la connaissance sont des piliers du changement:

L’une affirme : “Il faut que nous connaissions ce patrimoine, que nous soyons conscient de la richesse qu’il représente. La jeunesse est importante parce que c’est là que tout commence. Je pense que tous les jeunes devraient, à l’école par exemple, apprendre leur patrimoine, leur histoire, devrait avoir accès aux musées, devraient pouvoir visiter des sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial et d’autres sites, qui ne sont pas inscrits mais qui sont quand même importants pour leur pays, et pour leur continent.

"Swinging Africa, Le Continent Mode" par Emmanuelle Courrèges, Editions Flammarion

Pour conclure et nous livrer sa définition de la célébration de l’Afrique et de ses héritages, Emmanuelle Courrèges nous confie un pan de son histoire personnelle: « Ça m’évoque une question de justice sociale, d’équité, d’équilibre. Mais c’est aussi une question politique. Je fais partie de ceux/celles qui pensent notamment, si on dépasse le seul cadre culturel, qu’il faudrait ré-introduire des pans de l’Histoire africaine dans les programmes scolaires en France et plus largement dans le monde occidental. J’ai eu la chance d’aller à l’école sénégalaise à Saint-Louis puis Dakar et à l’école franco-ivoirienne à Abidjan. Je n’ai pas appris « mes ancêtres les Gaulois », mais « mes ancêtres Soundjata Keïta » ou l’Empereur des Mossi ou des Songhaïs. J’ai rêvé de la Reine Pokou avant de découvrir qui était Jeanne d’Arc. Quand vous apprenez dès l’enfance la richesse, la noblesse, la grande Histoire des Peuples, le respect s’impose. De la même manière que l’on apprend la grandeur des Incas, des Pharaons ou de Louis XIV, on devrait tous apprendre, partout dans le monde, celle des royaumes Africains. Je pense que ce serait un outil formidable dans la lutte contre les préjugés et les discriminations.

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